Retour à la normale … au Moyen-Age

Quatre mois sans musée, c’est long ! Heureusement, les lieux culturels français peuvent progressivement rouvrir leurs portes. Le musée du Moyen-Age, qui devait fermer les siennes pour travaux au mois de juin, joue les prolongations et accueille les visiteurs jusqu’au 28 septembre 2020. Si l’hôtel des abbés de Cluny n’est toujours pas accessible, le musée propose deux espaces de visite : le frigidarium (comme ce nom sonne agréablement à nos oreilles en période de fortes chaleurs…) et le nouveau bâtiment inauguré en 2018. Dans ces nouvelles salles, l’exposition Regards sur la vie quotidienne au Moyen Age répond à la salle des Trésors, qui présente certaines des plus belles pièces du musée de Cluny.

Cette exposition nous invite à imaginer le monde médiéval, non pas celui des romans de chevalerie ou du cinéma, rempli de châteaux, de tournois et de belles dames, mais celui de tous les jours, un Moyen-Age ordinaire que nous pouvons apercevoir à travers les objets qu’il a produits.

En effet, ce que nous voyons et admirons dans les musées est souvent trompeur lorsque l’on cherche à se représenter la vie quotidienne à une certaine époque. Ce que l’on juge digne d’être gardé, c’est ce qui est précieux, joli, ce qui a une valeur sentimentale ou historique, mais aussi et surtout ce qui se conserve. Pour citer Isabelle Bardiès-Fronty, conservateur général au musée de Cluny et co-commissaire de l’exposition, « plus c’est beau, plus on l’a conservé ; et plus c’est quotidien, plus c’est « banal », moins c’est conservé ». Les textiles, par exemple, sont rarement épargnés par l’usure. Les très belles pièces, les objets de luxe, ou encore les textiles religieux, sont préservés car ils sont rarement utilisés et précautionneusement rangés après chaque manipulation, comme le montrait l’exposition « L’art en broderie au Moyen-Age » (du 24 octobre 2019 au 20 janvier 2020, au musée de Cluny).

Photographie de vitrines de l’exposition « L’art en broderie au Moyen-Age »

A l’inverse de ces collections prestigieuses, soigneusement conservés comme de véritables trésors, les objets du quotidien parviennent jusqu’à nous essentiellement grâce aux fouilles archéologiques. Les objets les plus humbles, souvent retrouvés dans les « poubelles » ou les latrines, nécessitent des conditions particulières de conservation, ce qui les rend d’autant plus intéressants aux yeux des chercheurs indépendamment de leur valeur d’origine.

Ensemble de cinq enseignes de pèlerinage
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen-Âge) / Gérard Blot

C’est le cas par exemple des enseignes de pèlerinages : ces petits objets métalliques, ramenés de différents lieux saints, ont la même fonction que nos pin’s actuels. Arborés sur les vêtements, les enseignes de pèlerinage sont un souvenir de voyage autant qu’un élément de décoration, mais surtout, elles acquièrent pour le croyant la même dimension sacrée que la relique. En effet, l’enseigne pouvait être frottée contre le reliquaire ou, dans le cas des ampoules-reliquaires, contenir de la terre ou de l’eau recueillie sur le lieu saint (comme les bouteilles d’eau de Lourdes).

Dans un dernier temps, ces « pin’s » étaient jetés dans les fleuves près de lieux de dévotion. A Paris, des milliers de ces enseignes ont été retrouvées au XIXe siècle, lors d’un dragage de la Seine. Elles avaient été jetées devant Notre-Dame. Témoins de la ferveur religieuse au Moyen-Age et de la massification du phénomène du culte des reliques et du pèlerinage, ces enseignes permettent aux fidèles de transporter avec eux une part de sacré.

Toutefois, ces trouvailles archéologiques sont très rares. Une part importante des artefacts médiévaux n’a pas été conservée, comme la vaisselle ordinaire, en bois. Les témoignages écrits et les tableaux ne s’attardent guère sur les détails du quotidien, sur le banal, sur l’ordinaire. Comment, alors, représenter la vie quotidienne, la vie du peuple au Moyen-Age ?

Pas comme ça, déjà !

Contrairement aux idées reçues et aux clichés répandus dans les films et les séries « historiques », le Moyen-Age n’était pas sale. Les hommes et les femmes du Moyen-Age se soucient de leur hygiène, se lavent, se parfument, et emploient également de petits accessoires de toilette qu’ils emportent avec eux. Un nécessaire de toilette médiéval comportait par exemple du dentifrice à base d’os de seiche, des cure-dents en métal, des boules de senteur parfumées, un peigne ou encore ce cure-oreilles en os sculpté du XIVe siècle (et qui est bien plus écologique qu’on coton-tige !).

Cure-oreille représentant un personnage masculin, os sculpté, XIVe siècle, musée de Cluny
Peigne double décoré de scènes de l’Annonciation et de l’Adoration des Mages, ivoire sculpté et peint,
Pays-Bas méridionaux ? , XVe siècle, musée de Cluny
Prendre soin de son corps, c’est aussi prendre le temps de la contemplation. Bien qu’il soit décoré de scènes religieuses, cet élégant peigne en ivoire était destiné à un usage profane. La riche dame qui le possédait pouvait alors méditer sur l’incarnation du Christ pendant qu’elle se coiffait.

Le savon existe depuis l’Antiquité, mais n’était pas utilisé par les Romains qui utilisaient de l’huile et un strigile pour se nettoyer aux thermes. Au Moyen-Age, on se lave avec un savon réalisé à partir d’huile d’olive, d’eau, d’huile de baies de laurier et de soude végétale. C’est le savon d’Alep ! Les moins fortunés font leur toilette dans les rivières, et utilisent un savon à base de suif, c’est-à-dire de graisse animale, et de cendres végétales. En ville, les étuves accueillent ceux qui peuvent payer. Paris compte ainsi plus d’une vingtaine de bains publics au XIIIe siècle. La peur de l’eau comme vecteur de maladies n’apparaît qu’à la Renaissance. Suite aux épidémies, on redoute les bains car on pense que les miasmes pénètrent dans l’organisme à cause de la dilatation des pores de la peau sous l’action de l’eau chaude.

Tapisserie de la vie seigneuriale, Le Bain, Pays-Bas méridionaux, 1er quart du XVIe siècle, musée de Cluny

A quoi ressemblait une maison au Moyen-Age ?

Dans une maison médiévale, les pièces peuvent servir à différents usages en fonction des besoins. Il suffit pour cela de déplacer les meubles. L’essentiel du mobilier médiéval est facilement transportable. Le coffre permet de ranger ses affaires, mais aussi de les déplacer. Les tables sont montées sur tréteaux et sont donc facilement démontables. Il existe également des tables pliantes, comme cette table octogonale aux panneaux ajourés. Rare exemple de table médiévale à être parvenu jusqu’à nous, ce meuble est doté d’un système de chevilles pour pouvoir être monté et démonté facilement, comme un meuble IKEA (donc pas si facilement que ça 🤔). Sa hauteur de plateau correspond aux standards actuels (73 à 75 cm).

Table pliante, fin du XVe ou début du XVIe siècle, chêne, musée de Cluny

Le meuble le plus important au Moyen-Age est le lit. Dans une demeure seigneuriale, il est utilisé de jour comme banc ou comme lit de parade. Il devient aussi symbole du pouvoir comme lit de justice. (au sens propre, le lit de justice désigne un lit d’apparat sur lequel le roi prend place pour rendre la justice; au sens figuré, il s’agit d’une décision de justice royale qui se substitue au pouvoir judiciaire du parlement.) Dans une maison ordinaire, le lit est souvent le seul meuble mentionné dans les inventaires après décès, avec les éléments textiles l’accompagnant. Le lit est en effet composé du bois de lit, d’un matelas ou d’une paillasse, d’une ou plusieurs courtepointes, de coussins, de draps, et d’étoffes disposées autour et au-dessus du lit pour isoler les dormeurs du froid et des regards indiscrets. Ce meuble est très grand, car il accueille toute la famille.

« Viol et suicide de Lucrèce », dans Benvenuto Rambaldi, Romuleon (trad. Sébastien Mamerot).
Paris, BnF, ms Français 365, fol° 27v
© Base Mandragore, BnF

Les représentations d’intérieurs à l’époque médiévale constituent des sources précieuses pour les historiens. La peinture religieuse transpose souvent dans un univers contemporain les scènes bibliques. C’est également le cas de ce feuillet qui figure un épisode de l’histoire romaine antique. La littérature courtoise est également illustrée de scènes d’intérieur, et donne à voir les vêtements, les parures et la mode capillaire de l’époque. Toutes ces images servent à la contextualisation des objets présents dans les collections des musées, puisqu’on en représente l’usage.

Tenture des Arts libéraux: l’Arithmétique
Tapisserie en laine et soie, Tournai, vers 1520, musée de Cluny

Les petits plats dans les grands

Pas d’assiettes ni de fourchettes au Moyen-Age, mais on ne mange pas à même la table pour autant. Les aliments sont apportés dans des plats et servis soit sur un tailloir, une planche en métal ou en bois, soit sur un tranchoir, c’est-à-dire une tranche de pain bien épaisse. Celle-ci s’imprègne alors des jus de viande et des sauces et peut être consommée à la fin du repas ou distribuée aux pauvres. Le terme tranchoir peut aussi désigner un instrument tranchant, souvent richement décoré, qui sert à découper la viande.

Tranchoir en bois, ivoire, argent et acier, XVe siècle, France, musée de Cluny

Les cuillères et récipients pour la boisson peuvent être partagés. C’est peut-être ce qui explique la forme de cette tasse : chaque lobe servirait à un convive différent.

Tasse polylobée, terre cuite à glaçure plombifère, XIIIe siècle, musée de Cluny

Dans cette partie de l’exposition, la similitude formelle entre les objets est frappante ; c’est le matériau qui distingue la vaisselle ordinaire des pièces réalisées pour une clientèle fortunée. De même manière que les enseignes de pèlerinage mentionnés plus haut, les dragages de la Seine ont livré une minuscule dînette en plomb avec plat, cuillère, couteau, poêlon et autres accessoires (dans la partie « Les jouets et les jeux » de l’exposition).

La vaisselle d’orfèvrerie est rare et onéreuse. Les plus belles pièces sont exposées dans un dressoir, l’ancêtre de vaisselier, comme un marqueur de statut social. Peu de personnes peuvent toutefois s’offrir le luxe de posséder des pièces en argent ou en or. Fort heureusement, une technique, inventée en Irak au IXe siècle, permet de réaliser des pièces tout aussi rutilantes : le lustre métallique. Les « imitations » sont réalisées en faïence décorée d’oxydes métalliques dont les reflets évoquent le chatoiement de l’argenterie. Les centres de production sont l’Irak, la Syrie puis l’Espagne, d’où le lustre tire son nom de « céramique hispano-mauresque ». Cette technique n’est adoptée en Europe qu’au XIVe siècle. Attention, même si un plat en faïence à décor de lustre métallique coûte moins cher d’un plat en or, il reste une pièce de luxe et est réservé à l’élite. Certains plats hispano-mauresques présentés dans l’exposition sont de toute évidence prévus pour être exposés et non utilisés pour le repas. En effet, ils possèdent des trous de fixation pour être présentés sur un mur ou dans un dressoir.

La salière est la première pièce posée sur la table, et la plus importante. En plus de son utilité pour la conservation des aliments, au Moyen-Age, le sel est chargé d’une forte symbolique religieuse et sociale. Dans l’Ancien Testament, le sel est le symbole de l’alliance entre Dieu et les hommes : « Tout ce que les fils d’Israël prélèveront pour le Seigneur sur les choses saintes, je te le donne, à toi ainsi qu’à tes fils et à tes filles ; c’est un décret perpétuel, une alliance perpétuelle conclue avec le rite du sel devant le Seigneur, pour toi et ta descendance » [Nombres 18:19] Associé aux notions de purification et de sagesse, le sel est également un composant de l’eau bénite et est utilisé dans de nombreux rituels depuis l’Antiquité.

Salière décorée de bustes dans des quadrilobes sur chaque face, et de scènes religieuses : l’Annonciation sur le couvercle et au revers la Crucifixion, entourée d’une inscription commençant par « Lorsque tu es à table, pense d’abord au pauvre »
Etain moulé, Région du Pô (?), XIVe siècle

Dans le monde méditerranéen, le pain et le sel sont partagés en signe de communion et de fraternité, et ce quelle que soit la religion des hôtes. Le proverbe médiéval en latin « amicitia pactum salis » signifie « l’amitié est un pacte de sel ». Cette coutume est mentionnée dans la série Game of Thrones (HBO) sous le nom de « lois de l’hospitalité », ou « droit de l’hôte » (guest right en VO) : l’hôte et son invité partagent le pain et le sel et font ainsi le serment de ne pas se nuire tant que l’invité demeurera sous le toit de son hôte (enfin en théorie, hein…)

Tic toc, tric-trac et Patenôtres : comment s’occupait-on au Moyen-Age ?

Quand à ceux qui ne veulent partager le pain et le sel avec leur hôte, ils peuvent toujours aller se faire cuire un œuf ! Mais au fait, savez-vous comment faire cuire un œuf au Moyen-Age ? Sans téléphone ni montre, comment mesurer trois minutes ? Tout simplement, en priant! En comptant sur un bon rythme de récitation, le marmiton saura que pour faire cuire un œuf à la coque, il doit réciter une dizaine, c’est-à-dire un Notre Père, dix Je vous salue Marie et un Gloire au Père.

Au Moyen-Age, la dévotion privée se développe dans le cadre domestique : les fidèles prient et méditent sur la vie de Jésus, de Marie ou des saints, en dehors de la liturgie. Le chapelet, qui désigne à l’origine une couronne de fleurs offerte en dévotion, devient un exercice de méditation sur les mystères de la vie de Marie. Les supports de dévotion privée se multiplient : ce sont des objets de taille réduite, représentant principalement le Christ souffrant et la Passion. L’exposition présente plusieurs de ces objets qui reflètent les goûts et la sensibilité de leurs commanditaires.

Vierge à l’Enfant ouvrante; à l’intérieur, la Trinité
Ouverte, elle combine deux thèmes: celui du Trône de grâce (Dieu le Père tenant le Christ en croix) en son centre, et celui de l’humanité rassemblée sous les bras protecteurs de la Vierge de miséricorde, peinte sur la face interne des « volets»
Prusse Orientale, vers 1400, bois polychrome ; bois peint à l’intérieur

La religion structure le temps au Moyen-Age : le temps d’une journée avec les appels à la prière par les cloches de l’église ; le temps d’une semaine avec le repos du dimanche, jour du Seigneur ; le temps d’une année avec les nombreuses fêtes religieuses ; le temps d’une vie enfin, du baptême aux funérailles. La journée, qui commence au lever du soleil (et non à minuit) et s’achève à son coucher, est divisée en douze heures sur un cadran solaire. De ce fait, la durée d’une heure peut varier du simple au double en Europe selon la période de l’année. Il est donc très difficile de connaitre l’heure précise : les clepsydres et les sabliers permettent de mesurer des durées, mais pas d’indiquer l’heure.

Feuillet détaché de calendrier, mois de septembre,
France, vers 1500, parchemin enluminé

Les premières horloges mécaniques apparaissent au XIVe siècle, avec l’invention de systèmes de mesure du temps avec des poids dans les monastères, pour permettre aux moines de se lever pour prier la nuit. La chute des poids entraîne le mouvement d’une série d’engrenages, ce qui permet d’afficher sur le cadran douze heures régulières grâce à un échappement à foliot (qui fournit une pulsation régulière). Ce système de mesure du temps est bien plus précis que les cadrans solaires, qui donnent des heures inégales en fonction des saisons. Très vite, l’horloge est utilisée dans les églises car c’est quand même très pratique !

Horloge gothique provenant du marché de l’art parisien.
Sur cet exemplaire, un dispositif de sonnerie anime le masque de la façade.
Le foliot a été remplacé tardivement par une roue chantournée.
Pays germaniques, premier quart du XVIe siècle.

Le travail et la prière occupent une grande partie des journées, mais au Moyen-Age, on sait aussi s’amuser. Dans les tavernes comme partout ailleurs, on joue aux dés, malgré la condamnation des jeux de hasard par l’Eglise et le pouvoir royal. Populaires depuis l’Antiquité, les dés sont présents dans toutes les strates de la société, en ivoire, en os, en métal ou même en verre. De nouveaux jeux de société font leur apparition : le tric-trac et les échecs. Ces derniers, importés du monde arabe vers l’an mil, sont d’abord interdits par l’Eglise, qui s’inquiète de la popularité de ces jeux nouveaux et étrangers. Au XIIIe siècle, les échecs sont cependant bien implantés et, pour mieux séduire les cours européennes, ils s’occidentalisent : le roi reste le roi, mais le vizir devient la reine, l’éléphant le fou, le cheval le cavalier, et le char la tour.

Les Joueurs d’échecs, verre peint, plomb, France (Lyon ?), milieu du XVe siècle
Provient de l’hôtel de la Bessée, Villefranche-sur-Saône (Rhône)
Les échecs sont ici une métaphore de la séduction amoureuse dans le contexte de l’amour courtois

La grande nouveauté au XVe siècle, c’est le jeu de cartes ! Grâce à l’invention de l’imprimerie, il est désormais possible de reproduire les images à moindre coût, en réalisant des séries. Facile à produire, bon marché et transportable, le jeu de cartes est un vrai succès, même à la cour ! Ces deux cartes, découvertes dans la niche de la statue de Louis XII du château de Blois (Loir-et-Cher), évoquent une partie interrompue. Quelques gardes auraient-ils trouvé le temps long ?

Cartes à jouer: roi de carreau (David) et neuf de pique
Gravure sur bois, Lyon ?, 1490-1510

Informations pratiques :

L’exposition Regards sur la vie quotidienne au Moyen-Age est à découvrir au musée de Cluny jusqu’au 28 septembre 2020. Il n’est pas nécessaire de réserver, toutefois la jauge de visiteurs est réduite à 100 personnes. Le billet (5€ en plein tarif) donne accès à l’espace d’exposition ainsi qu’aux collections permanentes.

Pour aller plus loin :

Vidéo de présentation de la technique du lustre métallique : https://www.qantara-med.org/public/show_document.php?do_id=789

Texte et photographies : Mathilde Couderc

Crédits photographiques : Mathilde Couderc, musée de Cluny / RMN, Gallica

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